Un documentaire de Benjamin Watelle et Anna Mazzer Pirodon
Présentation du projet
Septembre 2022. Le préfet du département de l'Indre autorise un projet d'extension d'une porcherie située à Feusines. Cet agrandissement ferait passer la capacité d'accueil de la porcherie de 4 500 à 9 000 porcs. Le nombre de bêtes doublerait, ce qui n'est pas sans interpeller les associations et habitants aux alentours.
Les problématiques qui entourent les porcheries sont bien connues. Prélèvement d'eau dans les nappes phréatiques, odeurs, bien-être animal, pollution des eaux et potentielle présence d'algues vertes avec le déversement de nitrates dans les cours d'eau.
L'association Indre Nature et la Fédération de pêche de l'Indre ont joint leurs forces pour faire un recours à l'arrêté autorisant le projet d'extension. Les habitants ont de leur côté formé un collectif pour s'unir dans leur lutte.
Mais malgré ces oppositions locales, le projet de ce petit village de l'Indre est un symbole de diverses fractures internes à notre société. Les agriculteurs, pour qui le but est de nourrir la population française, voient leur activité de plus en plus dénigrée par une population qui ne comprend plus la nécessité d'une agriculture aussi intensive. Une intensité voulue et nécessaire pour soutenir la société de consommation actuelle.
c'est la taille du cheptel porcin en France en 2021...
...et chaque français consomme en moyenne
85 kilos
de viande par an.
En 2021, la consommation par habitant de viande de porcs uniquement est estimée à
32 kilos
en équivalent carcasse
"Un kilo équivalent carcasse est une unité utilisée afin d'avoir une unité commune entre les carcasses, les produits transformés et les conserves. On convertit chaque rubrique de produit partiellement transformé en équivalent-carcasse par application d'un coefficient de conversion qui permet d'évaluer le poids de carcasse originel. De même, les animaux vivants sont convertis en équivalent-carcasse."
Source : FranceAgriMer
Et si vous aussi vous mangez de la viande de porc, quels sont vos critères d'achat ?
Cliquez sur les critères d'achat pour découvrir le pourcentage de français qui auraient fait ce choix.
Ces chiffres sont issus d'une étude Opinion Way menée en 2021 auprès de 721 acheteurs de viande de porc.
L'origine France
38 % des consommateurs affirment accorder de l'importance à l'origine française de la viande qu'ils achètent.
Le prix
Comme 66 % des acheteurs, votre principal critère d'achat de viande est le prix. L'importance du prix pour les consommateurs explique aussi la manière dont les agriculteurs en viennent à produire en quantité et à moindre prix, quitte à sacrifier l'élevage en plein air par exemple.
Le morceau de viande
Le choix du morceau de viande a de l'importance pour 38 % des consommateurs de viande en France.
La couleur
Il y a 28 % des acheteurs qui accordent de l'importance à la couleur de la viande qu'ils achètent.
Malgré un nombre de porcs en élevage qui diminue en France, les éleveurs ont toujours intéret à valoriser la totalité de leur production afin d'être rentables. En cela, les coopératives leur sont plutôt utiles. En centralisant les produits obtenus, elles permettent aux agriculteurs de toucher des marchés qui leur seraient difficilement accessibles seuls. Par exemple, ils peuvent ainsi vendre des produits que les français ne consomment pas, comme les pieds de porcs, très recherchés en Chine. Ils arrivent donc à rentabiliser au maximum leurs productions. En effet, 90% du porc français est mis sur le marché français par les 34 coopératives qui existent dans le pays.
La région Centre-Val-de Loire est encore loin d'atteindre le niveau de peuplement en cochons de la Bretagne. Et bien qu'un grand nombre de porcs soient présents en région armoricaine, le nombre d'exploitation décroit.
Entre 2010 et 2016, le nombre d'exploitation agricoles a diminué de 11 %. Sur la même période, leur taille a, elle, augmenté de sept hectares. La conclusion qui peut en être tirée est que les agriculteurs doivent désormais entrer dans un modèle d'agriculture industrialisée où tout est conçu pour produire plus et ainsi diminuer les coûts de production. Ces dernières décennies, au niveau national, le nombre d'exploitations a diminué. Mais en parallèle de leur diminution numérique, leur taille a augmenté. Cette tendance témoigne d'une intensification de l'agriculture, semblable à celle de Feusines.
ZOOM SUR
L'EXPLOITATION DE FEUSINES
L'histoire de l'exploitation
L'exploitation de Feusines passera de
4 500
à
9 000 porcs
élevés en même temps après la réalisation du projet
La consommation en eau
La contenance de la nappe phréatique dans laquelle prélève l'éleveur a été revue à la hausse, affirme le préfet. Cela grâce à une plus grande précision des appareils de mesure.
Elle passe de
470 000
à
790 000
mètres cubes.
Dans sa taille actuelle, l'exploitant est autorisé à prélever8 000 mètres cubes d'eau par an. Si le projet se réalise, il pourra prélever
14 800
mètres cubes par an
soit 8,75 mètres cubes par heure. Cette quantité a tout de même été revue à la baisse par rapport à ce que souhaitait initialement prélever l'exploitant.
Toute cette eau est indispensable au bon fonctionnement de la porcherie : il faut en moyenne 25 litres d'eau par jour pour abreuver une truie. Au total, l'abreuvement représente plus de 90 % de la consommation d'eau d'une exploitation porcine. Le reste est consacré au lavage des bâtiments ou encore au refroidissement de l’air ambiant.
Source : étude de l'IFIP pour la chambre d’agriculture de Bretagne en 2014.
Pour éviter d'utiliser trop d'eau, Philippe Van Den Broeck s'approvisionne aussi en lactosérum depuis les usines de la région. Il s'agit du "petit lait" issu des produits laitiers, lui permettant de remplacer l'eau. Il se fournit aussi en déchets alimentaires, comme du pain de mie, depuis l'usine Harrys située à quelques dizaines de kilomètres à Châteauroux. Mélangé avec le lactosérum, ces déchets servent de nourriture aux cochons et permettent d'éviter de jeter cette nourriture non consommée.
Malgré ces volontés d'anti-gaspillage et d'économie des ressources affichées par l'exploitant, les opposants au projet restent inquiets des prélèvements en eau et de leur conséquence en période estivale. D'autant qu'en décembre 2022, un arrêté restreignait déjà l'usage de l'eau aux vues de la sécheresse à laquelle faisait face le département. Selon eux, le projet serait incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique. « La rivière de la Taissonne, en période estivale peut connaitre des assecs. Son débit est très lié à la nappe phréatique qui l’alimente. Et cette nappe phréatique, sensible quantitativement, est celle qui va être exploitée par la porcherie. 15 000 mètres cubes sont prévus d’être utilisés toute l’année. On n’a pas eu de réponse sur notre inquiétude posée auprès des services préfectoraux sur le suivi quantitatif de cette ressource en eau » s'alarme Bruno Barbey, hydrologue et directeur de la Fédération de pêche de l'Indre.
Pour tenter de rassurer les opposants, Stéphane Bredin, préfet de l'Indre, martèle les engagements pris par l'exploitant. « Il s’est engagé à augmenter sa quantité de lactosérum, un sous produit de l’industrie laitière. On lui a aussi imposé de diviser par deux ses prélèvements en eau. » Rassurant, il affirme que Philippe Van Den Broeck n'a encore jamais atteint le plafond de prélèvement d'eau dont il dispose et que les autorisations pourront évoluer en fonction de l'état de la nappe phréatique de la zone. L'arrêté de décembre ici. Si le sujet de l'eau est autant controversé, c'est parce que l'eau prélevée ne sert pas seulement aux cochons et aux bâtiments, mais aussi au méthaniseur, mis en place depuis 2020, dont l'exploitant souhaite augmenter la capacité.
La méthanisation
Dans son projet, l'éleveur porcin, Philippe Van Den Broeck, cherche à augmenter les capacités de son unité de méthanisation construite en 2020. Ce processus biologique de dégradation des matières organiques (lisier) permet de produire du méthane, qui sera transformé par la suite en biogaz, en chaleur ou encore en électricité. La méthanisation est ainsi considérée comme une énergie renouvelable en France. Incompréhensible pour certains habitants du département. Le préfet comprend les plaintes mais se veut optimiste et pragmatique. « C'est facile de dire au niveau national quels sont les objectifs pour les prochaines années en termes d'énergies renouvelables. C'est beaucoup plus compliqué quand vous êtes au niveau départemental. »
Au delà de la possibilité d'atteindre une certaine autonomie énergétique sur l'exploitation, c'est un moyen pour l'éleveur de diversifier son activité agricole et de se garantir un revenu fixe pour plusieurs années. Le dossier de demande d'agrandissement mentionne : « La méthanisation générera des revenus dont le tarif est fixé pour 10 ans, alors que les ventes de porcs dépendent d’un marché dont le prix est assez volatile. » En utilisant le lisier produit par les cochons, la méthanisation vient dans la continuité de l'activité porcine confirme Philippe Van Den Broeck : « C’est une activité complémentaire à celle de la ferme. Ça nous permet de fertiliser les cultures. On pouvait le faire avec le lisier, mais le faire avec le digestat n’enlève aucune capacité de fertilisation. »
Ce cycle d'utilisation n'est pas sans attirer les critiques. L'intensification de la production porcine signifie l'augmentation de la quantité de lisier ou de digestat épandu sur les terres. Les opposants ont peur que, comme en Bretagne, des nitrates, présents dans les excréments, se déversent depuis les champs dans les cours d'eau lors d'épisodes pluvieux. Les eaux se retrouveraient polluées. Bruno Barbey, s'inquiète déjà des rejets de nitrates. « Dans les eaux, on commence déjà à mesurer des surplus de nitrates en quantité. Le projet nous inquiète car nous n'avons pas eu de réponse sur les risques de rejet mais aussi de quantité d'eau. »
Un autre problème de la méthanisation est que cette manière de produire de l'énergieconduit parfois à produire de l'ensilage dans l'unique but de fournir le méthaniseur. Des cultures sont alors utilisées dans ce seul objectif. De plus, le méthaniseur dont s'est équipé l'exploitant de Feusines nécessite de l'eau ou du lactosérum en permanence. Une consommation qui peut paraître difficile à respecter en période de sécheresse. Ce qui indigne Max Bougeard, membre du collectif Non à la mégaporcherie de Feusines Perrasay. « Le préfet ne pouvait pas ne pas signer parce que Monsieur Van Den Broeck va produire de l’électricité avec la méthanisation. Il y a tout un aspect qui est faussement écologique qui justifie cette entreprise. »
Et le bien-être animal dans tout ça ?
Lorsque les conditions de vie animales sont évoquées, il devient encore plus difficile d'accorder les violons entre les différents acteurs du projet. Que signifie bien-être animal ? Que doit-on mettre derrière ? Les porcs élevés à Feusines sont-ils malheureux ? Selon Edgar Basset, technicien au sein de la coopérative Cirhyo, ces animaux n'ont « jamais connu autre chose que l'élevage, ils ne sont donc pas dans un état de stress ou de mal-être » allant même jusqu'à évoquer le mythe de la caverne. Fanny Dumet, elle aussi membre de la même coopérative, défend ces conditions d'élevage. Le bien-être des cochons serait assuré par les soins qui leur sont apportés. « Les choix techniques sont faits pour optimiser le bien-être du cochon et de l'éleveur. Au niveau de la caudéctomie [coupe des queues], elle est mise en place quand il y a nécessité de le faire, et on le fait parce que les cochons vont avoir tendance à ce manger eux-mêmes la queue ce qui créerait des souffrances pour les animaux et une porte d'entrée pour les maladies. » Elle refuse d'admettre que ces faits soient dûs au peu de place accordé par cochon : « Il y a 60 critères qui rentrent en compte dans ces épisodes de caudophagie. »
Mais pour les opposants, compliqué d'accepter de telles explications. Les queues des cochons n'auraient pas besoin d'être coupées s'ils étaient moins serrés selon eux. À Feusines, chaque porc dispose d'environ 0,75 m². Des conditions de vie qui indignent Rosine Saigne, membre du collectif feusinois de lutte contre l'extension de la porcherie. « Dans ces conditions d'élevages, on ne peut pas respecter les animaux. Et finalement, le paysan devient aussi esclave de ça. » Virigine Gailing, elle aussi membre du collectif, la rejoint : « [Dans ce type d'élevage], on ne parle pas de cochons, on parle de porcs. On ne parle pas d’animaux, on parle de produits. C'est un être-vivant que l'on exploite, à qui l'on propose une vie carcérale. »
Agriculteur biologique, Sylvain Gourbault est porte-parole de la Confédération paysanne. Il est indigné par la production de cette viande qui serait mal produite et mauvaise pour la santé des consommateurs. « Est ce que l'on veut produire en masse des produits de mauvaise qualité qui nourrissent mal mais qui ne sont pas chers ? Nous ce n'est pas ce que l’on veut. On veut que ça soit des produits de bonne qualité, tout en respectant le bien être animal. »
Et si ces conditions d'élevage peuvent être difficiles à accepter pour les opposants de cette porcherie, le projet de l'agriculteur rentre dans un cadre légal. Raison pour laquelle Stéphane Bredin, le préfet a autorisé sont agrandissement. « Le projet est conforme au droit, c’est ça qui est difficile à expliquer aux opposants. Pour l’instant, la réglementation sur le bien être animal ne va pas si loin que ce qu’ils voudraient. Ce n'est pas le préfet de l’Indre qui va créer un droit local sur le bien être animal » se défend-t-il. Le système d'élevage entre bien dans le cadre réglementaire. Et Edgar Basset le sait : « Ce qu'on attend dans un élevage, c'est que les animaux soient bien nourris, protégés des prédateurs et des maladies. Ici, ils sont soignés, chauffés. Ils sont dans des conditions d'élevage tout à fait bonnes. »
Le climat est encore loin d'être à la compréhension entre les deux camps...